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Emmanuel  Audrain

Emmanuel Audrain

Jeudi 30 Octobre 2014, rencontre avec Emmanuel Audrain
réalisateur de "Retour en Algérie"

« Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur. Ce soir est la fin d’un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L’air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne suis pas lavé de la guerre »

Qui dit cela ? Un de ces appelés, rappelés, ou engagés en Algérie et dont le réalisateur Emmanuel Audrain a recueilli les témoignages, quelque quarante ans plus tard. Un de ces hommes, un de ces paysans, au visage aujourd’hui buriné par le temps. Un de ceux convoqués par la Patrie pour maintenir l’ordre et pacifier dans nos anciens départements de l’autre rive de la Méditerranée. Un de ceux qui ne sont pas fiers d’avoir vu ce qu’ils ont vu, ou fait, là bas, ou pire pas fait de ce qu’ils estiment aujourd’hui qu’ils auraient dû faire. Non ce n’est pas un de ceux-là, c’est Jean Giono, et ils ne parlent pas de la guerre d’Algérie mais de celle de 14-18.

Et je peux continuer le parallèle.

« Je suis sûr de n’avoir tué personne. J’ai fait toutes les attaques sans fusil, ou bien avec un fusil inutilisable. (Tous les survivants de la guerre savent combien il était facile avec un peu de terre et d’urine de rendre un Lebel pareil à un bâton). Je n’ai pas honte, mais, à bien considérer ce que je faisais, c’était une lâcheté. J’avais l’air d’accepter. Je n’avais pas le courage de dire : « Je ne pars pas à l’attaque. » Je n’ai pas eu le courage de déserter. Je n’ai qu’une seule excuse : c’est que j’étais jeune. Je ne suis pas un lâche. J’ai été trompé par ma jeunesse et j’ai été également trompé par ceux qui savaient que j’étais jeune. Ils étaient très exactement renseigné. Il savaient que j’avais vingt ans. C’était inscrit sur leurs registres. C’étaient des hommes, eux, vieillis, connaissant la vie et les roublardises, et sachant parfaitement bien ce qu’il faut dire aux jeunes hommes de vingt ans pour leur faire accepter la saignée »

C’est à peu près, ce que j’ai entendu dans le film d’Emmanuel Audrain ou dans la salle après la projection.

Par contre à voir ce qui se passe aujourd’hui en Afrique, au Moyen Orient, et même en Europe mais un peu plus loin à l’Est et ce qui s’y est passé dans cette Europe dans les dernières années du XXème siècle en ex-Yougoslavie, je ne peux qu’acquiescer à cette autre citation, elle est cette fois de Pierre Schoendoerffer, un de ceux qui nous a guidés pour ce mois thématique à l’Arletty :

« Il y a deux vérités. Et une est horrible ! …

Je ne comprends pas bien, quelles vérités ? …

« La Vérité des hommes … vous savez bien !… Celle que nous tétons avec le lait de notre mère … Celle que mon père a essayé de m’inculquer. Celle de Bouddha, de votre Christ … Celle qu’on devine, qu’on cherche, qu’on espère, qu’on désire … La beauté !… Celle des enfants justement … l’amour. L’amour, c’est ça la Vérité ! … »

Vous avez dit qu’il y en avait deux ?

« Le secret de notre nature. Secret de polichinelle ! L’homme est un tueur. Voilà l’autre vérité. Un tueur, un tueur abject. C’est la vérité. »

Les citations de Giono sont extraits de « Refus d’Obéissance », celle de Pierre Schoendoerffer de son avant dernier livre : « Là-haut, Un roi au dessus des nuages. »
J.M Forest